Georges Jauzion (1930-2019)

Georges Jauzion en 2010 – Photographie Isaure Gratacos

Pendant son adolescence toulousaine, en regardant à l’horizon la chaîne des Pyré- nées étirer sa glorieuse beauté d’un bout du ciel à l’autre, Georges Jauzion rêvait moins des sommets étincelants sous le soleil que de leurs racines et du monde souterrain. C’était la dualité du calcaire qui l’attirait: les profondeurs révélées par la surface et réciproquement la surface définie par les profondeurs.

Mais Georges Jauzion dut reporter ses projets d’explorations souterraines: deux accidents graves d’avion et d’hélicoptère interrompirent brutalement, en 1950, une carrière militaire. Contraint à un repos forcé de trois ans, il abandonna le pilotage et se fixa dans sa maison familiale de Toulouse, tout en menant une carrière de traducteur à Sud Aviation.

Mais les Pyrénées étaient là. Et avec elles, l’intérêt de plus en plus marqué de Georges Jauzion pour la bordure calcaire de la chaîne et pour son karst riche de formes transitoires entre le monde visible et celui des profondeurs. Intérêt entretenu et même multiplié par des lectures attentives de divers découvreurs du monde calcaire comme Trombe ou Casteret.

Ainsi Georges Jauzion adhéra en 1953 à la Société Méridionale de Spéléologie et de Préhistoire (SMSP). Dans les années 60, accompagné d’une petite équipe toulou- saine de passionnés du monde calcaire — parmi eux Jacques Paloumé, Georges Hengl, puis, à partir de 1965, Fernand et Isaure Gratacos — il rallia avec eux, chaque fin de semaine, les Pyrénées vers lesquelles il se tournait en un phototropisme irrépressible : en cinquante-cinq ans, il y découvrira et explorera plus d’un millier de grottes et de gouffres.

Mais cette intense activité spéléologique ne fut pas réduite à son aspect sportif : sur terre et sous terre, l’étude et l’analyse l’accompagnaient. Georges Jauzion traquait pertes, résurgences, réseaux fossiles ou actifs, dolines, diaclases et fissures diverses, afin de comprendre un paysage dans sa définition géomorphologique : ainsi qu’il l’écrit en 1980 dans le bulletin de la SMSP, il est soucieux de ne pas se limiter aux qualités du « spéléologue simplement sportif » mais d’être plutôt « le spéléologue intéressé par les problèmes scientifiques ». Le souci qu’il eut toute sa vie de pratiquer une approche rigoureuse et analytique fit de lui un véritable précurseur car, très tôt, chacune de ses explorations donna lieu à une fiche descriptive avec localisation, croquis, photogra- phies et topographie. Cet immense travail (plus de 3 000 fiches) lui permit de constituer un corpus documentaire sans équivalent pour le domaine pré-pyrénéen de la zone centrale. (Ariège, Haute-Garonne, Hautes-Pyrénées).

Georges Jauzion ne cherchait pas le record mais le progrès de la connaissance. Ainsi les grands massifs de la zone centrale étaient pour lui chaque fin de semaine le lieu de prospections attentives, d’explorations et de relevés : le massif d’Arbas et la zone des Balaguères, celui de Gar-Cagire à partir d’Arbon qui fut pendant trente ans le camp de base de l’étude du massif, l’ensemble du Nistos et les interfluves Barousse- Pique-Garonne. En 2010 s’y ajouta, à la demande d’Isaure Gratacos et avec son aide, celle d’Alain Jumeau et celle de Jean Marc Medge, celui de Lespugue-Montmaurin où il topographia et mit en fiches 118 cavités. Il rejoignit alors la Société des études du Comminges.

Ses contacts et échanges avec le personnel du laboratoire souterrain de Moulis furent nombreux et fructueux, associant la biospéléologie à l’étude karstologique sous toutes ses formes.

En surface, Georges Jauzion n’était pas bavard. Quand il parlait, c’était avec une bienveillance pleine d’humour, un humour anglais qui ne dédaignait pas la gauloise- rie. Mais dans une cavité, son mutisme était total. La planchette topo calée sur le bras gauche et la boussole calée sur la planchette, il mesurait dans le silence ses azimuts et ses pentes, l’œil fixé sur la lampe frontale d’un comparse qui tenait une corde à nœuds et annonçait les distances. Penché sur son papier millimétré, Georges se concentrait sur les chiffres et il dessinait parois et accidents du sol avec une application sérieuse qui n’admettait aucune interruption.

Depuis quelques années, l’adop- tion de lasers et autres moyens techniquement élaborés avait augmenté son autonomie et la rapidité des relevés. Et surtout rendu plus précises toutes les me- sures faites en hauteur, en parti- culier celle des plafonds de gale- ries, ceci améliorant donc gran- dement l’exactitude des coupes et « profils longitudinaux ». S’il utilisait avec une satisfaction gourmande ces nouveaux, commodes et précis moyens de mesure, il en était parfois empê- tré et en perdait régulièrement un et quelques fois deux que son ou ses coéquipiers, coutumiers de la chose, recueillaient derrière lui, oubliés dans l’argile du sol de la galerie ou sur la corniche natu- relle d’une stalagmite…

Comment croire que cet amoureux du silence et de la solitude des cavernes était aussi un passionné d’opéra-comique. Offenbach n’avait pas de secret pour lui. Et ses coéquipiers se souviendront longtemps de quelques phrases de « La belle Hélène » fredonnées par lui entre deux bouchées, le regard malicieux sous le casque, lors des casse-croûte réparateurs pris avec l’équipe devant une entrée de grotte. Ils se souviendront aussi de la solidarité rapide, adaptée et efficace en cas de besoin dans une remontée difficile ou dans une progression pro- blématique, et de l’efficacité des désobstructions de galeries, parfois laborieuses mais réfléchies, de celui qui était pour ses coéquipiers une référence mais aussi la solidité dans la mesure et la discrétion. Car Georges Jauzion était modeste. Modeste et d’un comportement discret, comme le sont souvent les plus grands.

L’engagement de Georges Jauzion dans le monde de la spéléologie était total: membre actif au niveau fédéral de la FFS, il fut, en 1975, un des fondateurs du Spéléo Secours de la Haute-Garonne et en 2013, la Jeunesse et les Sports lui donna la médaille de bronze pour ses services rendus au sein du CDS 31. Membre d’honneur de la FFS en 1992, il en reçut le Martel d’Or en 2013 à l’occasion du cinquantenaire de la Fédération.

Isaure Gratacos

Hommage publié dans la Revue de Comminges et des Pyrénées centrales, n°2019-1, pages 225-229.

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