Excursion dans le Comminges de la Société des sciences lettres et arts de Pau et du Béarn
Répondant à l’invitation de la Société des Études du Comminges qui avait fait sa sortie annuelle en Béarn l’année dernière, une soixantaine de membres de la Société des Sciences, Lettres et Arts de Pau et du Béarn (SSLA) se sont rendus en Comminges le samedi 13 septembre. Le Président René Souriac, accompagné de plusieurs membres du conseil d’administration de la SEC et de Pierre Maubé, directeur de la médiathèque, a accueilli les visiteurs, emmenés par leur Président Benoît Cursente, historien de l’habitat et médiéviste, à l’auditorium de la toute nouvelle médiathèque de la Communauté de communes du Saint-Gaudinois.
Après les traditionnels échanges de bienvenue, ce fut l’occasion d’une présentation du Comminges, dans ses trois composantes, géographique, comtale et ecclésiale, des origines du Nébouzan et de la Grande Charte de Saint-Gaudens.
Puis le groupe s’est dirigé vers la collégiale où, sous la conduite d’Emmanuel Garland, membre des deux associations, il a pu découvrir le monument le plus insigne de Saint-Gaudens. Succédant à une abbaye bénédictine probablement d’origine carolingienne, un collège de chanoines fut institué en ce lieu au milieu du XIe siècle à l’instigation du comte Bernard. La construction de la collégiale débuta peu après, selon le schéma alors déjà bien implanté dans les Pyrénées, d’un édifice à trois nefs débouchant sur autant d’absides. La partie basse des murs de la nef et du chevet date de cette époque. Mais avant même la fin du XIe siècle les chanoines décidèrent de donner plus d’ampleur à leur église et de la voûter. Cela n’alla pas sans tâtonnements dont témoignent l’amorce de tribunes (achevées sur seulement deux travées) et le fait que plusieurs ateliers de sculpture se soient succédé entre la fin du XIe siècle et les années 1130. Mais alors que le plus ancien de ces ateliers manifeste une connaissance des réalisations sud-pyrénéennes contemporaines (Jaca et Fromista en particulier), le ou les suivants furent au contraire au contact des ateliers toulousains de Saint-Sernin.
L’église une fois achevée, les chanoines entreprirent de réaliser un cloître au sud de l’édifice. Celui-ci connut de nombreux avatars, dont le moindre ne fut pas sa reconstruction à la fin des années 1980, reconstruction dont Gérard Rivère narra les circonstances, les difficultés, réticences et problèmes que cela souleva, suscitant une réflexion sur ce type d’opération, contestée par les puristes. Mais le résultat est une réelle réussite en terme de réappropriation de leur patrimoine ancien par les saint-gaudinois et de présentation au public d’un cloître certes recomposé mais bien moins réinventé que nombre de réalisations contemporaines. Au moins a-t-il le mérite de permettre de contempler un ensemble exceptionnel de chapiteaux, œuvre d’un atelier authentiquement commingeois qui s’épanouit pendant la seconde moitié du XIIe siècle. Benoît Cursente saisit l’occasion pour évoquer la Charte de la ville, conclue entre le comte et ses habitants en 1203, et dont la lecture attentive montre le rapport de force équilibré entre la population locale et « son comte » à ce moment clé de leur histoire.
Après le repas pris à l’hôtel du Commerce, le groupe se rendit à Montsaunès où l’attendait Christine Lalanne-Belair. Celle-ci nous fit part de sa grande connaissance de l’histoire du temporel de la commanderie des Templiers dont l’église témoigne de l’importance passée. Elle expliqua en particulier que, contrairement à une idée très répandue, ce type de commanderie n’eut aucune fonction militaire mais joua un rôle fondamental dans l’économie templière, permettant de soutenir l’effort des moines-soldats en Terre Sainte qui eux s’étaient voués à la défense des Lieux Saints par la prière et par l’épée. Puis Emmanuel Garland prit la parole pour présenter l’édifice, commencé en pierre dans le dernier tiers du XIIe siècle puis continué en brique. L’influence toulousaine est ici extrêmement présente, tant dans l’usage des matériaux que dans la sculpture, concentrée sur les remarquables portails nord et ouest. Le portail occidental, ouvert à la communauté paroissiale, cherche à délivrer un message clair en mettant en exergue le sacrifice consenti de saint Etienne et des apôtres Pierre et Paul, modèles pour ceux qui sont amenés à risquer leur vie pour la défense des Lieux Saints, et le pouvoir du Christ sur la mort (illustré par la résurrection de Lazare). Le portail nord, réservé aux templiers et à leurs maisonnées, témoigne, lui, de la piété mariale alors à son apogée.
L’intérieur de l’église réservait d’autres surprises. Non tant par son architecture (une vaste nef unique voûtée en berceau brisé débouchant sur une large abside) ou sa sculpture (réduite à une longue imposte finement ciselée et à des chapiteaux bien dans le style des portails) que par son décor peint. Celui-ci se démarque profondément de ceux du XIIe siècle dans la même région. Emmanuel Garland rapprocha ce décor, qu’il date du second quart du XIIIe siècle, de celui de la chapelle castrale de Castillon-en-Couserans, distante d’une quarantaine de kilomètres à peine : ce sont deux témoins d’une nouvelle façon de concevoir le décor des églises au XIIIe siècle. La technique picturale y est originale : les figures et les motifs sont peints principalement à l’ocre sur un fond uniformément blanc. L’iconographie mêle des personnages historiques aisément identifiables (saints et apôtres, disposés dans un faux triforium qui court à la naissance de la voûte) à des animaux réels ou imaginaires (centaure, cerf, chiens, etc.), ou encore à des éléments géométriques alliant la cosmologie à la Croix (voûte). Emmanuel Garland a alors expliqué que la technique utilisée est moins exceptionnelle qu’on ne le croit (elle se retrouve au transept de Saint-Sernin de Toulouse) et qu’aussi bien la technique utilisée que certains motifs (telle la croix, les résilles, etc.) appartiennent au répertoire prisé par les templiers à la même époque, de l’Italie à l’Espagne en passant par Cressac (Charente). Il a enfin fait remarquer combien le décor peint avait été pensé dans son ensemble, avec un vrai souci de spatialisation le long de l’axe de la nef.
Le groupe a alors repris le car pour se rendre à Martres-Tolosane, l’ancienne Angonia, où il était attendu à l’office de tourisme de ce bourg ecclésial construit en cercles concentriques autour de son église paroissiale.
Deux groupes se sont formés qui ont tous deux visité, en parallèle, le petit musée implanté dans l’office de tourisme et le « Donjon ». Le musée est consacré à l’histoire du village, de la villa de Chiragan, de saint Vidian à la vie légendaire et dont la fête continue d’être célébrée tous les ans avec faste, et bien sûr de ses faïenceries qui font encore la renommée du bourg.
Le « Donjon » quant à lui, qui un temps servit de prison, accueille une riche collection de moulages de statues, bustes impériaux, et reliefs antiques provenant de la villa de Chiragan, et dont les originaux sont au Musée Saint-Raymond à Toulouse. Une visite à l’église, aussi courte fut-elle, s’imposait, pour y admirer deux beaux sarcophages de l’école d’Aquitaine (VIe-VIIe siècles), et la chapelle Saint-Vidian dans laquelle est installé un monumental retable-reliquaire de la fin du moyen-âge visiblement inspiré de celui de la cathédrale de Saint-Bertrand-de-Comminges et qui permettait aux pèlerins de passer sous/derrière les reliques de saint Vidian, comme en la basilique de Saint-Just de Valcabrère.
Ainsi s’achevait une belle journée préparée conjointement par les deux associations.
Germain Monfort,
avec le précieux concours d’Emmanuel Garland
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