En forêt de Barousse
Un curieux exemple d’ornithochorie
A l’occasion de la Journée internationales des Forêts 2021, nous vous proposons le texte d’une chronique parue dans le numéro 2019-2 de la Revue de Comminges
Si l’anémochorie se rapporte au transport par le vent des pollens, spores et autres semences, la zoochorie au transfert des mêmes éléments par les animaux, l’ornithochorie concerne plus précisément le rôle joué par les oiseaux dans la dissémination de nombreuses espèces végétales. Justement, sur les pentes du Mont Aspet en Barousse, Il existe un lieu où on peut observer de façon saisissante le résultat de l’action de la gent ailée en matière de reboisement :
Vers 1600 mètres d’altitude une pelouse s’étend tout au long d’un grand replat, en équilibre sur une crête qui se prolonge ensuite jusqu’au sommet du Mont Aspet à 1853 mètres d’altitude, disputant l’espace au Bois de la Montagne de Bassia qui s’élève en la protégeant sur son flanc nord et à la forêt de la Montagne de Cizaès qui progresse sur son flanc sud. La limite de la hêtraie-sapinière ne dépassant pas 1700 mètres du côté de l’ombrée et avoisinant 1600 mètres sur la soulane.
Le randonneur qui découvre cet endroit pour la première fois ne peut qu’être impressionné par son étrange beauté. Les troncs décharnés d’immenses sapins qui jonchent le sous bois font penser à des squelettes de cétacés. D’autres conifères complètement écorcés, percés d’une multitude de trous creusés par les oiseaux piciformes, dressent vers le ciel leurs branches rectilignes qui cernent en couronne un tronc au diamètre imposant ; l’ensemble ferait penser à d’extraordinaires candélabres. L’adoucissement de la pente rencontrée par le marcheur après la forte déclivité qu’il vient de gravir lui permet de souffler un peu, de regarder autour de lui et, s’il est un tant soit peu observateur, faire un certain nombre de découvertes : à côté, sur une souche, à plus d’un mètre de hauteur, comme dans un jardin Japonais, poussent côte à côte sur un coussin de mousses, fraisiers, myrtilles, un sureau rouge et un sorbier des oiseleurs. Plus loin, sur une autre souche, s’élève un nouveau sorbier. Sur chaque souche, sur chaque arbre abattu, presque sans exception, se dresse un sorbier. Parfois c’est un jeune plant mais ce peut-être aussi un arbuste dont les racines descendent le long du bois mort pour s’enfoncer plus bas dans le sol ; certains devenus des arbres en plein développement, vigoureux, atteignent une dizaine de mètres de hauteur, leurs racines aériennes chevauchent les troncs vermoulus qui se désagrègent lentement.
Ce phénomène ne présenterait rien d’extraordinaire si ce n’était sa répétition aussi fréquente dans un espace relativement réduit. En effet il n’est pas rare de voir pousser sur un arbre mort un spécimen d’une espèce différente. On en trouverait plus d’un exemple, ça et là dans la même forêt, à des altitudes variables. Si l’explication de cette curieuse association n’offre pas de difficulté particulière (nous allons essayer de nous y employer), il ouvre un large champ à la réflexion sur l’évolution de la forêt (spécialement en Barousse) et sur le rôle de l’action de l’homme dans ce domaine.
Ce sont pourtant bien les oiseaux qui ont déposé les graines de sorbier sur ces perchoirs accueillants qui pouvaient leur procurer une certaine sécurité pendant leurs périodes de repos. Une anecdote, malheureusement au dénouement plutôt triste, permettra d’en préciser le processus : assez loin d’ici, dans le Nord-est de la France, il y a de cela un certain temps, un médecin dont les enfants pleuraient la mort de leur animal de compagnie, un adorable Cocker Américain, vitupérait à l’encontre certains de ses concitoyens, « ces sal…rds », qui avaient empoisonné son chien, ce en quoi il avait parfaitement tort. En effet, le jeune chien avait pris l’habitude de se promener pour y jouer et éventuellement grignoter ce qu’il y trouvait, dans le chéneau en zinc qui bordait la terrasse de l’appartement de ses maîtres. Un lieu prisé également par les merles du voisinage qui se régalaient des baies pulpeuses des nombreux ifs ornant un parc situé de l’autre côté de la rue. Si les oiseaux digéraient sans dommage la partie comestible des fruits ils en expulsaient intacts les noyaux très toxiques (comme tout le reste du végétal) dans la gouttière qui se trouvait ainsi truffée de ces pièges mortels. Les responsables du drame étaient les oiseaux !
Ici, peu d’ifs, les bergers veillent à ce qu’ils ne se développent pas, mais des myrtilles, des baies de sorbier ou de sureau qu’on trouve en quantité un peu plus loin dans la montagne (à vol d’oiseau pourrait-on dire). Ici, ce qui est étonnant c’est que les sorbiers, les myrtilles, les sureaux ne semblent proliférer que sur les arbres morts. Au niveau du sol on ne trouve rien d’autre qu’une herbe rase et des branches mortes. Pourtant un nombre important de ces semences devait bien finir par tomber à terre pour y trouver un terrain autrement favorable pour leur germination !
L’explication est simple : cette clairière propice à la halte du promeneur l’est tout autant pour les troupeaux qui y trouvent refuge mais aussi pour les cervidés dont le nombre est particulièrement important dans les environs. Tous ces animaux raffolent des jeunes pousses auxquelles ils ne laissent pas le loisir de croître, rien n’échappe à leur voracité. Les arbres de la lisière vieillissent et finissent par mourir, libérant l’espace et la lumière, ceux qui subsistent prennent des dimensions impressionnantes avant de disparaître à leur tour et, faute de renouvellement, la forêt régresse. Pour s’en convaincre il n’est pas nécessaire d’aller bien loin : L’O.N.F., dans un but d’expérimentation et de pédagogie vis-à-vis des visiteurs, a enclos d’un grillage de petits espaces dans des endroits dégagés de la forêt. Il y en a justement un à côté du lieu que nous décrivons. A l’intérieur l’herbe y pousse drue et haute, les espèces arbustives pionnières commencent à l’envahir et croissent sans difficulté à l’abri de l’appétit insatiable des herbivores. Les forestiers se sont par ailleurs aperçus au bout d’un moment que ces réserves végétales attiraient aussi des espèces animales plus rares comme les coqs de bruyère et ils ont dû fixer de petites plaques réfléchissantes à espaces réguliers pour éviter que les gallinacés ne se prennent dans les mailles du grillage qu’ils n’auraient pas décelé.
Paradoxalement cette clôture artificielle cerne une parcelle qui se rapproche le plus de ce à quoi pourrait ressembler un morceau de forêt naturelle en train de se régénérer. Tout ce qui est autour (c’est valable pour l’ensemble de la vallée) a très largement été impacté, voire façonné, par l’action de l’homme depuis qu’il a occupé cet espace, qu’il soit : forestier, éleveur, chasseur ou même promeneur-cueilleur[1]… Chacun ayant des visions et des intérêts qui lui sont propres, parfois contraires pouvant entrainer des conflits (la Révolte des Baroussais[2] en 1848) ou des oppositions marquées (la réintroduction de l’ours de nos jours).
Jean Génot
[1] Ne reproche-t-on pas, du côté de Bagnères de Luchon, aux Pyrénéistes amateurs de trekking dans l’Himalaya d’avoir ramené sous les semelles de leurs chaussures les graines de l’impatiens glandulifera qui a envahi les berges de la Pique et les rives de l’Ourse en Barousse puis l’ensemble des rivières de la région ? Ce qui représenterait alors un cas particulier d’anthropochorie !
[2] Voir Revue de Comminges (1886-3/1955-1et2/1989-2)
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